En ce jour, je me remets à l'écriture comme c'est pas permis. En France, il y a des lois pour protéger les travailleurs, aux Philippines, je ne pense pas que ce soit d'actualité. Toute ma journée, je tape, je relate, je me remémore. Et, comme j'ai de plus en plus de retard, je m'efforce d'écrire en plus sur des feuilles de papier le résumé de mes journées sachant que ce qui devait être un résumé se mue automatiquement en des dissertations infinies.
Entre le stylo et le clavier, j'ai donc deux fois plus de travail, deux fois plus de mal à rattraper mon oisiveté passée même si j'y passe le plus clair de mon temps. Jusqu'au coucher du soleil, je ne m'offre qu'une courte pause pour aller mettre la tête dans l'eau et m'arranger un nouveau rendez-vous pour le lendemain avec Jo-Ann, ma masseuse attitrée, en sachant qu'entre les massages et les baignades, il va s'agir de rebondir et d'aller de l'avant quant à la suite du programme.
Et manque de bol, ça coincide avec le retour de la pluie...
Jusqu'à aujourd'hui, chaque soir, on voyait les orages de loin. On restait au sec, ça faisait un joli spectacle. Mais maintenant, c'est juste au dessus de ma tête quand je vais dîner. Et ça mouille! Au retour à la GH, il pleut encore. Dans le dortoir au premier étage, dans lequel je suis tout seul avec mes quatres ventilateurs, la pluie donne un concert à très fortes décibels en s'échouant sur le toit juste au dessus.
Pour les perspectives d'itinérance, c'est pas reluisant, pour passer une bonne nuit, ça berce.
Au saut du lit, le temps est toujours à la grisouille. Il ne pleut plus mais ça menace comme une grippe porcine. C'est la première fois que dès le matin une chappe de strato-cumulus bouche le ciel, il en faut plus pour que ça me déprime. Je pourrais très bien rester au lit mais non, le devoir m'appelle.
Il y a deux jours, quand avec Yo' on s'est lancé dans le tour de Boracai cycliste, Jo-Ann célébrait en grande pompe les deux ans de Jay-Jay, son fils. La veille encore, alors que je me faisais masser, Jo-Ann nous avait invité à passer dire bonjour. C'était en tout bien tout honneur, ça sentait bon le gouter avec tous les marmots enjoués de l'île, ça aurait pû nous faire une excellente pause autant que plaisir à notre hôte. Mais sur le moment, alors qu'on était tout dégoulinant d'effort, on s'était dit qu'on était peut-être pas dans les meilleures dispositions pour faire une bonne impression autant que pour jouer avec des dizaines de gamins excités au sucre. Jo-Ann n'a pas oublié quand, hier, j'ai pris rendez-vous pour aujourd'hui, elle m'en a presque fait le reproche.
C'est donc tout naturellement qu'en cette matinée de grisaille, je ne vois pas d'autre alternative que de lui faire une petite visite surprise comme au bon vieux temps des amis parigos quand je débarquais sans prévenir le dimanche après-midi. Aussi, je me dois d'être l'invité modèle. Après avoir acheté un maillot de basket taille "deux ans" pour Jay-Jay, je débarque. Il y a là, Jay-Jay qui joue dans le modeste jardinet, Auguste, son mari opéré peu avant du tendon d'achille qui se remet de son opération assis dans un siège à bascule et Jo-Ann qui est occupée à faire la conversation à une de ses voisines.
Dès qu'elle me voit arriver, c'est avec des "bienvenus" plein le sourire qu'elle m'accueuille. Jay-Jay, qui a bien compris que le maillot était trop petit pour son père, me fait aussi un accueuil triomphal. Auguste est tout surpris de me voir mais c'est aussi agréablement qu'il m'invite à m'assoir à ses côtés. Pendant ce temps, Jo-Ann qui doit compenser l'infirmité temporaire de son auguste Auguste, s'active dans la maison. Quand elle revient, c'est pour nous dire de passer à table. Etre plus gêné que moi à ce moment là, c'est pas possible. La famille a beau être modeste, ils ont concocté un festin qu'il va être difficile de réduire en miettes tant la table est colonisée par les plats de poisson, de viande, de légumes. Il y a de quoi nourrir un bataillon de boulimiques!
Je m'installe donc à table et ne peux décemment pas faire autrement que de tester l'élasticité de mon estomac en le gavant comme celui d'une oie périgourdine. Et comme pendant ce temps là, tous les voisins ont l'air de s'être donné le mot pour observer l'animal exotique qui se remplit la panse, je ne suis pas encore parti!!
Après le repas, je passe deux heures à faire des allers-retours entre Jo-Ann que je ne peux remercier assez et tout le village pour qui je fais le clown ou le singe savant. A l'heure de partir, je confirme à mon hotesse qu'elle n'en a pas encore fini avec moi eu égard à mon rendez-vous du soir. Je rentre en direction l'hotel ne me souciant que peu des nuages, la tête raffraichie de ces dizaines de rencontres. Alors que j'y suis presque, je me dis qu'il serait presque dommage de ne pas me mettre à l'eau ne serait-ce que pour évacuer quelques unes des milliards de calories que je viens d'ingérer. Peu importe les conseils de grand-mère, après le repas, on peut nager!!!
J'ai donc le choix entre White Sand et ses sandwisheries d'une part, et la plage déserte où on a joué avec les gamins quand Yo' était encore de ce monde insulaire d'autre part. Où croyez-vous donc que je suis allé tremper ma couenne? Les enfants et les sourires, bien sur!!!
Quand j'y arrive, la pluie commence à tomber, la belle affaire! Les enfants sont toujours là et ils ne m'ont pas oublié de quelques jours plus tôt. Je suis donc contraint à une nouvelle séance de lancer de nains, le temps pour eux d'en redemander, le temps pour moi d'être sur les rotules.
Il est 16h quand je suis finalement dans mon refuge, mon dortoir. Le concert aquatique sonne toujours le "la".
C'est à 21h et à l'issue d'une nouvelle session rédactionelle que le tintamare s'arrête. Une accalmie? Vite, à table! Table de massage bien sûr!!
Jo-Ann est là, à m'attendre sur le pied de guerre, je n'ai plus qu'à lui rendre la monnaie de sa pièce. Mon T-shirt saute, je m'allonge et ronronne. Pas mal pour cloturer la journée. Les massages de fins de soirée sont bien accueillis mais s'il te prend de vouloir me masser dès le réveil dès mon retour, je prends aussi!!! A bon lecteur, bon entendeur...
Aujourd'hui, c'est dimanche, jour du repos du seigneur. La grasse matinée est de mise, il est 10h quand je prends le petit déjeuner à la GH. Le temps s'est dégagé un peu, hauts les coeurs. Autour de la table, je rencontre deux américains Bob et Andrew. Ils ne sont là que depuis la veille et ont encore tout à découvrir. Bob et Andrew ont un hobby dans la vie : le golf. Presque naturellement, alors que la conversation tourne autour, ils me proposent de me joindre à eux pour tester le seul 18 trous de l'île. Belle initiative quoi qu'un peu étrange sur cette île toute dévouée à la baignade, j'accepte pour le meilleur et pour le pire surout en ce qui concerne les fairways...
Ma seule expérience de swing était à Bangkok cinq mois plus tôt et au cours de ce premier tatonement, mon ratio tir tenté / tir réussi était famélique.
C'est donc plus par gout du rire que par gout de la performance sportive que je les accompagne.
Sur Boracai, le parcours de golf est annexé à un hotel quatre étoiles. Chaque fois que j'inspire, j'ai l'impression que ça sent plus le billet vert que la verte pelouse. Le parcours, cela dit, est splendide. Ca serpente entre les collines, entre les palmiers, chaque brin d'herbe est agencé en harmonie avec ses voisins brins d'herbe.
Andrew et Bob dispose chacun de l'équipement complet, une douzaine de clubs scintillant au soleil.
Moi, pauvre gaucher débutant, je me fais prêter trois clubs par le club house, un bois, un fer, et un putter.
Et le numéro commence!
Alternativement, je rate la balle ou fais des trous dans le sol. Mon premier trou, un par 4, ce qui signifie que si tu maîtrises ton sujet, tu peux mettre la balle dans le trou en quatre coups, se termine en la bagatelle de 21 tentatives plus vaines les unes que les autres! Au départ, les américains étaient morts de rire, mais plus le temps passe et plus ils s'impatientent de me voir me contortionner pour arriver à rien. Je suis leur boulet.
Personnellement, je m'amuse bien même si je savais, dès le départ de la GH, que Bob et Andrew était plus des rencontres d'un jour que des potes de toujours. Mettre leur patience à bout m'apporte quelque satisfaction!
Seulement après trois trous que je boucle en plus d'une demie heure, mes 'ricains décident de passer à la vitesse supérieure. Moi, j'ai carte blanche, tout seul sur ce parcours magnifique pour millionnaires en mal de trous.
Je continue à tenter ma chance jusqu'au moment où, il fallait s'en douter, le golf tout seul, sans des potes avec qui se fendre la poire, c'est chiant comme la mort. Ainsi, sans demander mon reste ni savoir où sont Bob et Andrew, je rends les armes et retourne à la maison où le jeu va maintenant consister à les éviter autant que possible. Je reprends mon rôle de scribe dans mon dortoir personnel, je n'en sors qu'à 22h quand je me décide enfin à aller dîner.
Sur le chemin du retour, je croise deux jeunes femmes complètements allumées. Il n'est pas encore 23h et les belles ont déjà du mal à marcher droit. A leur vue, je ne peux m'empêcher de leur faire un sourire complice et de leur demander si tout va pour le mieux. Elles s'arrêtent alors et on commence à parler deux minutes, le temps pour elles de se placer sur ma gauche et sur ma droite.
La suite, on a même pas encore eu le temps d'échanger nos prénoms que les deux demoiselles m'aggrippent chacune un bras. La seule chose que je sais alors d'elles, c'est qu'elles sont de Manille, en vacances à Boracai pour dix jours, et que la soirée ne fait que débuter... Je suis à la merci du démon tentateur... Moi qui voulait une soirée tranquille avant d'aller voir là-bas si j'y suis dès demain, j'ai l'impression que c'est raté, encore fallait-il que je puisses anticiper la tornade qui s'abat sur moi.
Avec une fille de chaque côté, je suis téléguidé. Si elles veulent me faire me diriger vers la gauche ou la droite , elles n'ont qu'à me faire pivoter.
On descend la plage entre petits bisous, rires nerveux et des interrogations plein mon cortex. Qu'est ce qui m'arrive? Quel magnétisme m'habite? Je ne peux rien faire d'autre que de suivre aussi activement que possible la partition qui s'écrit sous mes yeux.
- "Où va-t-on?", je demande. Les petits rires me renvoyent ma question.
J'y vois un peu plus clair quand on entre tous les trois dans un hotel luxueux du front de mer. C'est là qu'elles habitent.
On passe le réceptionniste, monte dans l'ascenseur, et entame des débats fougueux. A l'entrée dans leur chambre double, je remarque le foutoir fait de piles de sous-vêtements et maillots de bain de toutes les couleurs avec pour seul trait commun, un gout prononcé pour le minusculement affriolant. La surface de tissus est minuscule, tout est affriolant. Je suis immédiatement jeté sur le lit le plus proche, on tire le rideau à défaut de mettre un carré blanc dans le coin en bas à droite.
Je sors de la chambre vers 2h30 du matin. Je ne sais pas à quel point c'est agréable ou désagréable mais j'ai la sensation inédite d'avoir été abutilisé. Je suis tout propre d'avoir fini dans leur baignoire mais je me sens tout souillé. Les demoiselles, et ç'en sont, ne sont pas des professionnelles puisqu'elles ne m'ont jamais demandé autre chose que d'être leur chose. Je suis tout chose et c'est rien de le dire!
Moi qui avait prévu de boucler mes affaires le lendemain matin, il va falloir repenser ça, j'ai besoin de repos!
C'est d'autant plus vrai qu'en ce nouveau jour, il pleut de re-chef. Pas facile de mettre le couvert si la blanquette prévue se remplit d'eau jusqu'à devenir une soupe. Ca fait un peu mal au coeur de se dire que je passe une nouvelle journée à Boracai où je n'ai plus rien à découvrir après avoir vraiment fait le tour de la question, mais il y a pire. Au moins ici, tout est accessible : la plage, les restaurants, un dortoir dans lequel je monopolise toujours tous les ventilateurs pour avoir de l'air frais en stéréo, tout le confort pour le touriste chevronné qui en est parfois privé.
Je profite donc en faisant un peu des trois. Je me baigne comme si c'était la dernière fois. Je me remplis le ventre comme si c'était la dernière fois. Je dors comme si c'était la dernière fois. J'écris en sachant que j'ai encore beaucoup de pain sur la planche. Le tout est d'éviter de trop trainer pour ne pas retomber ni sur Prosper ni sur celles qui ont fait de moi leur marionnette. Micky est toujours à Panay.
La journée est, même si elle se passe bien, la plus ennuyeuse depuis longtemps. Je ne parle à quelqu'un que pour commander à manger. Vivement que ça change!
Demain, c'est maintenant sur et certain, je ne m'apeusantis pas, je me mets en marche dès le lever! Une journée comme ça, c'est appréciable si on voit le verre à moitié plein, mais à recommencer l'expérience, c'est un coup à vieillir trop vite et à compter les gouttes de pluie si jamais elle continue de tomber.
Je me couche donc avec les poules (c'est une expression), Panay, serre les fesses, j'arrive à toute vitesse!